MISE À L’ŒUVRE - Noémi Lancelot
OOZIN’5 · OCTOBRE 2022
Considères-tu ta pratique artistique comme un vrai travail ?
Pour répondre à ta question, il faut déjà que je définisse ma pratique artistique et le travail. Tout d'abord, je pense séparer dans mon processus la question de la pratique et celle de l'œuvre. La pratique, c'est celle du quotidien, celle de la recherche, qui chez moi n'est pas corollaire à une pratique dite d'atelier, mais plutôt d'une pratique de la rencontre. Ces rencontres, ce sont celles avec des œuvres et des expositions, des textes, des expériences du monde l'art - qui ont été essentiellement pédagogiques dans le cadre de mes études - et des rencontres humaines. À cela, j'aimerais insister sur les rencontres dites professionnelles, c'est à dire mon statut de travailleuse de l'art. Toutes mes expériences de travail dans l'art font parties de ma pratique. J'ai été médiatrice dans différentes structures et assistantes pour plusieurs artistes. Ce sont toutes ces rencontres qui peuvent être définies comme ma pratique, et qui amènent à l'œuvre.
Le travail est un sujet épineux dans l'art. D'abord, j'aimerais dire que de définir être artiste comme un métier ne m'a malheureusement jamais satisfaite. Quand on fait un métier, on sait ce qu'on recherche. Le maçon fait des murs. C'est une relation de cause à effet simple. Mais pour l'artiste, la question est plus complexe : est-ce que le métier d'artiste, si tenté qu'il existe, ne tend que vers la production d'œuvres ? Je ne peux pas répondre oui à cette question, tant les contre-exemples historiques sont multiples. Mais le statut des artistes et des travailleur.euses de l'art est tellement précaire qu'il est nécessaire de définir le métier d'artiste, et de le revendiquer comme un métier. Ce n'est que par cela que la situation sociale des travailleur·euses de l'art s'arrangera. Tout compte fait, d'un point de vue légal, il faut envisager la pratique artistique comme un travail, alors que ça n'en est sémantiquement pas un. Dans le processus de fabrication de mes pièces, j'accorde beaucoup d'importance au temps. Il peut se passer un long moment (jusqu'à quelques années) entre la fabrication ou le prélèvement d'un objet et sa transformation en œuvre. Même si dans ce moment il n'y a pas d'action, que l'objet est en latence, c'est là que se produit le gros du travail ; et, à rebours de l'image qu'on se fait du travail artistique, je crois que c'est ce moment-là que j'appellerais travail.
Cette temporalité si particulière, ce temps long nécessaire à ta pratique, semble créer une sorte de distance entre l'objet du travail (l'œuvre) et la personne qui le réalise (l'artiste, en l'occurrence toi). Pour raisonner en suivant ton exemple de cause à effet, je dirais que c'est comme si le maçon se dissociait du mur qu'il a bâti, allant jusqu'à se désolidariser de l'idée même de mur, se défaire de la finalité ou de l'objectif. Comme si chacune des briques, chacune des couches de mortier, dans leur unité, avaient autant si ce n'est plus d'importance que la cloison aboutie. Ta pratique est-elle un moyen pour toi d'arriver quelque-part ? Que reste-t-il de ce processus une fois qu'il a fait œuvre ? Autrement dit, quelle est ta brique ?
Ce que tu notes dans ta réponse, à savoir cette idée de se “désolidariser”, c'est certainement là où je veux en venir. Je cherche, au travers de mes pièces, l'autonomie. Mais je ne l'atteins jamais ! Je considère l'autonomie de l'œuvre comme un fantasme de l'histoire de l'art, et plus spécialement de l'histoire de l'art moderne. Les artistes, les critiques, le monde de l'art dans son ensemble a poussé l'œuvre à être un objet autonome, et ça n'a jamais fonctionné. L'autonomie fantasmagorique parfaite serait un objet lisible par n'importe qui, à n'importe quel moment de l'histoire, dans n'importe quel contexte - c'est grotesque. Je l'analyse comme un héritage de l'universalité kantienne. Avec la couche deleuzienne par-dessus, cette couche de discipline et de résistance, qui est aujourd'hui la vision prédominante de ce qu'est une bonne œuvre d'art.
Ces rapports à l'art ont modelé nos attitudes culturelles, et c'est avec elles que je travaille. Le processus est toujours là, je ne cherche jamais à le masquer. Ce que j'essaie de donner à voir, c'est un objet qui se suffirait à lui-même, mais ça ne veut pas dire qui serait le résultat ou le témoin d'un processus. D'ailleurs, ces objets ne sont jamais vraiment finis, jamais vraiment réussis - c'est aussi ce temps suspendu entre deux moments, celui de la recherche et celui de l'œuvre, qui m'intéresse. Ce moment où l'autonomie advient, mais n'est pas.
Si l'objet passe d'un état à un autre, s'il apparaît comme quelque chose d'autonome, est-ce précisément à l'instant où il est montré, comme une incarnation, un instantané, du temps long dont est fait ta pratique ? Je veux dire par là que, lorsque tu parles de prélèvement et de transformation, ça me donne l'idée d'un objet qui, parce qu'il peut devenir œuvre de par le travail, peut également être désœuvré une fois que l'étape de monstration est passée. Quel statut accordes-tu à l'exposition ?
Je crois que c'est cette question de l'exposition qui est au cœur de mon travail. Finalement, je fais des objets très variés, je n'ai pas de médium, pas de sujet… Si ce n'est celui de l'exposition. Car c'est en effet dans ce cadre là qu'on peut tester l'autonomie des objets. Mais pourtant, j'ai un mal fou avec l'idée même de l'exposition ! En tant que spectatrice, je prends un vrai plaisir à aller voir des expositions (je mets cela à peu près au même niveau que d'aller au cinéma pour un fan de cinéma, ou lire un livre pour un littéraire). C'est ma consommation culturelle numéro une. J'aime à la fois l'espace social et politique de l'exposition, à savoir être réuni dans un lieu qui est dédié à ça, en compagnie d'inconnu. Il y a un caractère événementiel à chaque instant dans une exposition. Personne ne voit vraiment la même chose. Et j'aime les spécificités de chacun de ces lieux. J'ai une passion pour la peinture abstraite contemporaine, et je crois que cette passion - au-delà du médium - vient clairement de la dimension spatiale de l'exposition que formule ce genre.
Même si je fais complètement autre chose, je crois que c'est ce même type d'accrochage que j'essaie de faire avec mes objets variés. J'essaie de proposer un parcours qui ne soit pas autoritaire, où chaque objet se répond et est autonome en même temps. De proposer un récit sourd et muet, en quelque sorte. C'est un peu rustre, dit comme cela, mais je crois que mes pièces contiennent du comique.Je crois que ce qu'il y a de plus important pour moi, c'est que mon travail n'apparaisse pas comme un divertissement, tout en étant pas ennuyeux, et ce pour chacun. C'est peut-être pour cela que j'ai produit des pièces déceptives, pour pouvoir travailler la déception de chacun. Je ne sais pas quel statut donner à l'exposition ; finalement, j'en ai fait assez peu, et je n'ai jamais considéré cela comme une fin en soi. Même si c'est évidemment un moment important à la fois pour les objets - un instantané comme tu dis si bien - que pour ma pratique, j'ai l'impression que ce n'est pas là que tout se joue.
Plusieurs choses semblent faire de l'exposition en tant que médium une construction complexe et contradictoire. Le caractère événementiel, le rapport au divertissement, l'intégration du comique - l'exposition semble être un médium contre-sens, où l'objet (au sens de ce qui est présenté lors d'une exposition) se trouve face à sa condition existentielle. Ajoutons à cela le fait de ne pas construire un cheminement de visite autoritaire pour les spectateur·ices. Peut-on réellement exposer sans imposer ?
La médiation, que j'ai pratiqué dans divers lieux pendant plusieurs années, est en prise directe avec mon rapport aux objets, à l'exposition, et à la question politique. Ces expériences ont accéléré ma conception économique de la pratique artistique et du travail dans le monde de l'art. J'ai, bien sûr, été choquée de la précarité des artistes et des travailleurs de l'art, j'ai vu l'arrivée des services civiques - j'en ai même fait un, mais avant la fin des contrats aidés - et par la gymnastique professionnelle qu'imposent ces métiers. Je crois que si mes objets sont déceptifs, c'est aussi parce qu'ils sont précaires, parce qu'empreint de la réalité économique du monde de l'art.
Aussi, d'un point de vue beaucoup plus pragmatique, je pense que la médiation a influencé mon rapport à l'écriture, au discours, et à la monstration de mon travail. Si je fais un film En finir avec l'art où l'action (si on peut appeler ça une action !) consiste quasiment uniquement à me voir parler seule ou avec diverses personnes, et en convoquant d'autres œuvres et artistes, cela ne vient pas de nul part… Et finalement, il en est de même avec mes objets. J'ai toujours essayé de les soustraire à la médiation, avec leur caractère déceptif encore une fois, mais aussi avec un principe de couche de lectures. L'expérience de l'objet est là, que le spectateur ait les codes ou non pour reconstituer le cheminement de pensée et les références présentes. Chaque objet est unique pour chaque spectateur·ice, car chaque objet sera lu différemment par chaque spectateur·ice. C'est quelque chose que j'essaie de travailler mais qui finalement est présent dans chaque œuvre d'art. C'est donc un travail assez tautologique sur la condition existentiel de l'objet d'art, en effet… je vois là-dedans un parallèle avec l'architecture dans le sens social.
Là où l'architecte doit prendre en compte le caractère social de sa construction - le lieu et les usages - je pense avoir un rapport social à l'exposition. Je ne suis cependant pas utopique, et je ne pense pas qu'il y ait de but à l'art. J'essaie juste de travailler le rapport au spectateur d'une manière horizontale, et cela passe par des propositions souvent rustres - parce qu'en fait, je trouve l'art souvent rustre. Non, on ne peut pas exposer sans imposer. Même refuser d'exposer, c'est imposer quelque chose de très fort, et du domaine de l'art - comme par exemple la lettre ouverte de Julien Crépieux (Lettre ouverte au monde de l'art, lundi.am, 2019). La question sous-jacente, c'est cette question sociale : qu'est-ce qu'on expose et pourquoi, et pour qui. C'est là que des compromis intellectuels et politiques sont inéluctables. Je suis persuadée que l'enjeu de ma génération est la refonte du système institutionnel de l'art contemporain, privé et public. L'histoire des institutions est sexiste, raciste et opprimante - que pouvons-nous faire avec cela ? Et surtout, quels modes d'organisation et de gouvernance imaginer pour ces institutions ?
Le fait de s'écarter de la monstration peut s'apparenter à une non-action, à un boycott, qui n'est pas sans rappeler la désobéissance civile non-violente utilisée par certains mouvements lors de manifestation. Si l'on transpose cette vision dans le secteur de l'art, de l'exposition et des artistes, on se retrouve assez vite dans une impasse. Le monde de l'art est alors un système aussi binaire que complexe à combattre : soit on est artiste, soit on ne l'est pas, soit on expose, soit on n'expose pas, etc. Comment “agir contre” si “ne pas agir en faveur de” nous fait tout bonnement disparaître du système ? Peut-on, en tant qu'artiste, aller au-delà du fait de ne pas exposer pour agir contre l'institution ?
En effet, on peut émettre une comparaison avec la désobéissance civile. Je pense aussi aux mouvements de grèves. Je ne pense pas avoir une vision aussi binaire que toi de l'artiste et du monde de l'art. On peut très bien être artiste sans exposer, sans produire, sans rentrer dans cette image de l'archétype de l'artiste. être artiste c'est selon moi une posture, qui se traduit par des actions, qu'elles soient matérielles ou non, de l'ordre de l'exposition ou non. Cette posture traduit un positionnement politique, éthique et esthétique. Je ne pense pas que “ne pas agir en faveur de” fasse nécessairement sortir du système. D'ailleurs, je ne pense pas qu'il y ait un seul système ; il y en a plein, parallèles, avec ou non des connexions. Dans ma posture, il n'est pas question de combattre l'institution par la disparition. Ce qui m'intéresse est plutôt ces points de contacts entre les institutions, les marges de manœuvre qu'ils offrent. Je considère de plus en plus les postures d'artistes démissionnaires comme romantiques et, je dois l'avouer, lâches.
Même si on sait que la critique institutionnelle est une impasse - l'oppresseur contrôle sa propre critique - il serait intéressant de monter des institutions critiques. Il n'y a pas de recette magique, ni du côté des potentielles nouvelles institutions, ni pour les artistes ! C'est une réflexion commune à mener, inventer de nouveaux modes de gouvernances et de travail, de rémunération et de monstration, de production et de communication. À la fois plus écologique, éthique, et politique.
Quand tu parles d'objets variés, de parcours, de récits, mais aussi quand tu évoques les couches de lectures et les codes, on ressent comme une sorte d'invitation à l'interrogation, à la remise en question, voire même à l'auto-médiation ou à la persuasion. L'œuvre devient une sorte d’élément déclencheur de ludicité, comme si on pouvait se référer au vocabulaire du jeu pour définir les pratiques. Quelle est la pertinence sociale de l'œuvre dans un contexte de monstration, de communication ou d'interaction ? Comment envisages-tu d'exposer à l'avenir par rapport à ces questions, si toutefois tu l'envisages ?
J'ai l'impression que beaucoup d'artistes ou de professionnels de l'art ont décrié ce qu'on appelle les œuvres interactives en prétextant qu'elles relevaient plus du spectacle que de l'art. J'ai la sensation que cette idée prédomine encore le consensus autour de ce que doit être une bonne œuvre d'art - avec peut être une exception pour les œuvres qu'on a bien voulu ranger dans la case relationnelle.
C'est très embêtant. Il n'y a pas d'œuvre participative ou interactive : elles le sont toutes ! Chaque œuvre tisse une relation avec son regardant ; qu'elle soit fixe, manipulable ou altérable. La preuve est évidente : combien de fois a-t-on dit “on ne voit pas bien les œuvres pendant un vernissage” ? Et ce, que ce soit une pièce de Carl Andre ou de Chiaru Shiota. L'œuvre est sociale parce qu'elle œuvre dans un contexte donné, à un moment donné, avec une configuration donné. À cela s'ajoute le réel : si il fait beau, si il fait gris, si il y a du monde, si il y a un·e médiateur·ice … Sans vous oublier vous, en tant que spectateur.ice. Dans quel état d'esprit vous accédez à l'œuvre ? Est-ce que vous avez lu une critique ? Un texte explicatif ? Est-ce que vous avez posé des questions à un·e médiateur·ice ? etc.. Tout cela est participatif, interactif, relationnel, quel que soit le travail de l'artiste que vous avez en face de vous. La relation à l'œuvre est sociale car elle est liée à d'autres êtres humains. Cette relation est en dehors du sujet, du médium, de la constitution technique de l'œuvre. Elle intervient dès l'imaginaire conceptuel de l'art.
Dans mon travail, j'ai politisé ces questions, pour tenter de mettre en exergue tout ce qui constitue ce qu'on appelle art. Aujourd'hui, je cherche plutôt des stratagèmes pour substituer mon travail à la question de l'exposition. Je ne crois pas un instant en l'effectivité politique de l'art - l'art n'a jamais changé le monde et ne le changera jamais. La communication si, mais ce n'est pas mon métier. Je cherche plutôt du côté d'autres formes de monstration pour tester le potentiel de mes nouvelles pièces : la performance, l'édition, le design, … Mais je fantasme un peu l'idée qu'on me donne un white-cube en me disant : fais ce que tu veux. Parce que même si, rationnellement, on se dit qu'on ne changera pas le monde, pourquoi ne pas essayer ?
Pour répondre à ta question, il faut déjà que je définisse ma pratique artistique et le travail. Tout d'abord, je pense séparer dans mon processus la question de la pratique et celle de l'œuvre. La pratique, c'est celle du quotidien, celle de la recherche, qui chez moi n'est pas corollaire à une pratique dite d'atelier, mais plutôt d'une pratique de la rencontre. Ces rencontres, ce sont celles avec des œuvres et des expositions, des textes, des expériences du monde l'art - qui ont été essentiellement pédagogiques dans le cadre de mes études - et des rencontres humaines. À cela, j'aimerais insister sur les rencontres dites professionnelles, c'est à dire mon statut de travailleuse de l'art. Toutes mes expériences de travail dans l'art font parties de ma pratique. J'ai été médiatrice dans différentes structures et assistantes pour plusieurs artistes. Ce sont toutes ces rencontres qui peuvent être définies comme ma pratique, et qui amènent à l'œuvre.
En finir avec l’art - director’s cut, film, 18’02”, 2021 (vimeo) ©Noémi Lancelot
Le travail est un sujet épineux dans l'art. D'abord, j'aimerais dire que de définir être artiste comme un métier ne m'a malheureusement jamais satisfaite. Quand on fait un métier, on sait ce qu'on recherche. Le maçon fait des murs. C'est une relation de cause à effet simple. Mais pour l'artiste, la question est plus complexe : est-ce que le métier d'artiste, si tenté qu'il existe, ne tend que vers la production d'œuvres ? Je ne peux pas répondre oui à cette question, tant les contre-exemples historiques sont multiples. Mais le statut des artistes et des travailleur.euses de l'art est tellement précaire qu'il est nécessaire de définir le métier d'artiste, et de le revendiquer comme un métier. Ce n'est que par cela que la situation sociale des travailleur·euses de l'art s'arrangera. Tout compte fait, d'un point de vue légal, il faut envisager la pratique artistique comme un travail, alors que ça n'en est sémantiquement pas un. Dans le processus de fabrication de mes pièces, j'accorde beaucoup d'importance au temps. Il peut se passer un long moment (jusqu'à quelques années) entre la fabrication ou le prélèvement d'un objet et sa transformation en œuvre. Même si dans ce moment il n'y a pas d'action, que l'objet est en latence, c'est là que se produit le gros du travail ; et, à rebours de l'image qu'on se fait du travail artistique, je crois que c'est ce moment-là que j'appellerais travail.
Cette temporalité si particulière, ce temps long nécessaire à ta pratique, semble créer une sorte de distance entre l'objet du travail (l'œuvre) et la personne qui le réalise (l'artiste, en l'occurrence toi). Pour raisonner en suivant ton exemple de cause à effet, je dirais que c'est comme si le maçon se dissociait du mur qu'il a bâti, allant jusqu'à se désolidariser de l'idée même de mur, se défaire de la finalité ou de l'objectif. Comme si chacune des briques, chacune des couches de mortier, dans leur unité, avaient autant si ce n'est plus d'importance que la cloison aboutie. Ta pratique est-elle un moyen pour toi d'arriver quelque-part ? Que reste-t-il de ce processus une fois qu'il a fait œuvre ? Autrement dit, quelle est ta brique ?
Ce que tu notes dans ta réponse, à savoir cette idée de se “désolidariser”, c'est certainement là où je veux en venir. Je cherche, au travers de mes pièces, l'autonomie. Mais je ne l'atteins jamais ! Je considère l'autonomie de l'œuvre comme un fantasme de l'histoire de l'art, et plus spécialement de l'histoire de l'art moderne. Les artistes, les critiques, le monde de l'art dans son ensemble a poussé l'œuvre à être un objet autonome, et ça n'a jamais fonctionné. L'autonomie fantasmagorique parfaite serait un objet lisible par n'importe qui, à n'importe quel moment de l'histoire, dans n'importe quel contexte - c'est grotesque. Je l'analyse comme un héritage de l'universalité kantienne. Avec la couche deleuzienne par-dessus, cette couche de discipline et de résistance, qui est aujourd'hui la vision prédominante de ce qu'est une bonne œuvre d'art.
Ces rapports à l'art ont modelé nos attitudes culturelles, et c'est avec elles que je travaille. Le processus est toujours là, je ne cherche jamais à le masquer. Ce que j'essaie de donner à voir, c'est un objet qui se suffirait à lui-même, mais ça ne veut pas dire qui serait le résultat ou le témoin d'un processus. D'ailleurs, ces objets ne sont jamais vraiment finis, jamais vraiment réussis - c'est aussi ce temps suspendu entre deux moments, celui de la recherche et celui de l'œuvre, qui m'intéresse. Ce moment où l'autonomie advient, mais n'est pas.
Si l'objet passe d'un état à un autre, s'il apparaît comme quelque chose d'autonome, est-ce précisément à l'instant où il est montré, comme une incarnation, un instantané, du temps long dont est fait ta pratique ? Je veux dire par là que, lorsque tu parles de prélèvement et de transformation, ça me donne l'idée d'un objet qui, parce qu'il peut devenir œuvre de par le travail, peut également être désœuvré une fois que l'étape de monstration est passée. Quel statut accordes-tu à l'exposition ?
Je crois que c'est cette question de l'exposition qui est au cœur de mon travail. Finalement, je fais des objets très variés, je n'ai pas de médium, pas de sujet… Si ce n'est celui de l'exposition. Car c'est en effet dans ce cadre là qu'on peut tester l'autonomie des objets. Mais pourtant, j'ai un mal fou avec l'idée même de l'exposition ! En tant que spectatrice, je prends un vrai plaisir à aller voir des expositions (je mets cela à peu près au même niveau que d'aller au cinéma pour un fan de cinéma, ou lire un livre pour un littéraire). C'est ma consommation culturelle numéro une. J'aime à la fois l'espace social et politique de l'exposition, à savoir être réuni dans un lieu qui est dédié à ça, en compagnie d'inconnu. Il y a un caractère événementiel à chaque instant dans une exposition. Personne ne voit vraiment la même chose. Et j'aime les spécificités de chacun de ces lieux. J'ai une passion pour la peinture abstraite contemporaine, et je crois que cette passion - au-delà du médium - vient clairement de la dimension spatiale de l'exposition que formule ce genre.
Même si je fais complètement autre chose, je crois que c'est ce même type d'accrochage que j'essaie de faire avec mes objets variés. J'essaie de proposer un parcours qui ne soit pas autoritaire, où chaque objet se répond et est autonome en même temps. De proposer un récit sourd et muet, en quelque sorte. C'est un peu rustre, dit comme cela, mais je crois que mes pièces contiennent du comique.Je crois que ce qu'il y a de plus important pour moi, c'est que mon travail n'apparaisse pas comme un divertissement, tout en étant pas ennuyeux, et ce pour chacun. C'est peut-être pour cela que j'ai produit des pièces déceptives, pour pouvoir travailler la déception de chacun. Je ne sais pas quel statut donner à l'exposition ; finalement, j'en ai fait assez peu, et je n'ai jamais considéré cela comme une fin en soi. Même si c'est évidemment un moment important à la fois pour les objets - un instantané comme tu dis si bien - que pour ma pratique, j'ai l'impression que ce n'est pas là que tout se joue.
Répertoire de la sculpture moderne, plaque de mdf peinte, grès cru, 40x20cm, 2021 ©Noémi Lancelot
Plusieurs choses semblent faire de l'exposition en tant que médium une construction complexe et contradictoire. Le caractère événementiel, le rapport au divertissement, l'intégration du comique - l'exposition semble être un médium contre-sens, où l'objet (au sens de ce qui est présenté lors d'une exposition) se trouve face à sa condition existentielle. Ajoutons à cela le fait de ne pas construire un cheminement de visite autoritaire pour les spectateur·ices. Peut-on réellement exposer sans imposer ?
La médiation, que j'ai pratiqué dans divers lieux pendant plusieurs années, est en prise directe avec mon rapport aux objets, à l'exposition, et à la question politique. Ces expériences ont accéléré ma conception économique de la pratique artistique et du travail dans le monde de l'art. J'ai, bien sûr, été choquée de la précarité des artistes et des travailleurs de l'art, j'ai vu l'arrivée des services civiques - j'en ai même fait un, mais avant la fin des contrats aidés - et par la gymnastique professionnelle qu'imposent ces métiers. Je crois que si mes objets sont déceptifs, c'est aussi parce qu'ils sont précaires, parce qu'empreint de la réalité économique du monde de l'art.
Aussi, d'un point de vue beaucoup plus pragmatique, je pense que la médiation a influencé mon rapport à l'écriture, au discours, et à la monstration de mon travail. Si je fais un film En finir avec l'art où l'action (si on peut appeler ça une action !) consiste quasiment uniquement à me voir parler seule ou avec diverses personnes, et en convoquant d'autres œuvres et artistes, cela ne vient pas de nul part… Et finalement, il en est de même avec mes objets. J'ai toujours essayé de les soustraire à la médiation, avec leur caractère déceptif encore une fois, mais aussi avec un principe de couche de lectures. L'expérience de l'objet est là, que le spectateur ait les codes ou non pour reconstituer le cheminement de pensée et les références présentes. Chaque objet est unique pour chaque spectateur·ice, car chaque objet sera lu différemment par chaque spectateur·ice. C'est quelque chose que j'essaie de travailler mais qui finalement est présent dans chaque œuvre d'art. C'est donc un travail assez tautologique sur la condition existentiel de l'objet d'art, en effet… je vois là-dedans un parallèle avec l'architecture dans le sens social.
Là où l'architecte doit prendre en compte le caractère social de sa construction - le lieu et les usages - je pense avoir un rapport social à l'exposition. Je ne suis cependant pas utopique, et je ne pense pas qu'il y ait de but à l'art. J'essaie juste de travailler le rapport au spectateur d'une manière horizontale, et cela passe par des propositions souvent rustres - parce qu'en fait, je trouve l'art souvent rustre. Non, on ne peut pas exposer sans imposer. Même refuser d'exposer, c'est imposer quelque chose de très fort, et du domaine de l'art - comme par exemple la lettre ouverte de Julien Crépieux (Lettre ouverte au monde de l'art, lundi.am, 2019). La question sous-jacente, c'est cette question sociale : qu'est-ce qu'on expose et pourquoi, et pour qui. C'est là que des compromis intellectuels et politiques sont inéluctables. Je suis persuadée que l'enjeu de ma génération est la refonte du système institutionnel de l'art contemporain, privé et public. L'histoire des institutions est sexiste, raciste et opprimante - que pouvons-nous faire avec cela ? Et surtout, quels modes d'organisation et de gouvernance imaginer pour ces institutions ?
Le fait de s'écarter de la monstration peut s'apparenter à une non-action, à un boycott, qui n'est pas sans rappeler la désobéissance civile non-violente utilisée par certains mouvements lors de manifestation. Si l'on transpose cette vision dans le secteur de l'art, de l'exposition et des artistes, on se retrouve assez vite dans une impasse. Le monde de l'art est alors un système aussi binaire que complexe à combattre : soit on est artiste, soit on ne l'est pas, soit on expose, soit on n'expose pas, etc. Comment “agir contre” si “ne pas agir en faveur de” nous fait tout bonnement disparaître du système ? Peut-on, en tant qu'artiste, aller au-delà du fait de ne pas exposer pour agir contre l'institution ?
En effet, on peut émettre une comparaison avec la désobéissance civile. Je pense aussi aux mouvements de grèves. Je ne pense pas avoir une vision aussi binaire que toi de l'artiste et du monde de l'art. On peut très bien être artiste sans exposer, sans produire, sans rentrer dans cette image de l'archétype de l'artiste. être artiste c'est selon moi une posture, qui se traduit par des actions, qu'elles soient matérielles ou non, de l'ordre de l'exposition ou non. Cette posture traduit un positionnement politique, éthique et esthétique. Je ne pense pas que “ne pas agir en faveur de” fasse nécessairement sortir du système. D'ailleurs, je ne pense pas qu'il y ait un seul système ; il y en a plein, parallèles, avec ou non des connexions. Dans ma posture, il n'est pas question de combattre l'institution par la disparition. Ce qui m'intéresse est plutôt ces points de contacts entre les institutions, les marges de manœuvre qu'ils offrent. Je considère de plus en plus les postures d'artistes démissionnaires comme romantiques et, je dois l'avouer, lâches.
Même si on sait que la critique institutionnelle est une impasse - l'oppresseur contrôle sa propre critique - il serait intéressant de monter des institutions critiques. Il n'y a pas de recette magique, ni du côté des potentielles nouvelles institutions, ni pour les artistes ! C'est une réflexion commune à mener, inventer de nouveaux modes de gouvernances et de travail, de rémunération et de monstration, de production et de communication. À la fois plus écologique, éthique, et politique.
En finir avec l’art - director’s cut, film, 18’02”, 2021 (vimeo) ©Noémi Lancelot
Quand tu parles d'objets variés, de parcours, de récits, mais aussi quand tu évoques les couches de lectures et les codes, on ressent comme une sorte d'invitation à l'interrogation, à la remise en question, voire même à l'auto-médiation ou à la persuasion. L'œuvre devient une sorte d’élément déclencheur de ludicité, comme si on pouvait se référer au vocabulaire du jeu pour définir les pratiques. Quelle est la pertinence sociale de l'œuvre dans un contexte de monstration, de communication ou d'interaction ? Comment envisages-tu d'exposer à l'avenir par rapport à ces questions, si toutefois tu l'envisages ?
J'ai l'impression que beaucoup d'artistes ou de professionnels de l'art ont décrié ce qu'on appelle les œuvres interactives en prétextant qu'elles relevaient plus du spectacle que de l'art. J'ai la sensation que cette idée prédomine encore le consensus autour de ce que doit être une bonne œuvre d'art - avec peut être une exception pour les œuvres qu'on a bien voulu ranger dans la case relationnelle.
C'est très embêtant. Il n'y a pas d'œuvre participative ou interactive : elles le sont toutes ! Chaque œuvre tisse une relation avec son regardant ; qu'elle soit fixe, manipulable ou altérable. La preuve est évidente : combien de fois a-t-on dit “on ne voit pas bien les œuvres pendant un vernissage” ? Et ce, que ce soit une pièce de Carl Andre ou de Chiaru Shiota. L'œuvre est sociale parce qu'elle œuvre dans un contexte donné, à un moment donné, avec une configuration donné. À cela s'ajoute le réel : si il fait beau, si il fait gris, si il y a du monde, si il y a un·e médiateur·ice … Sans vous oublier vous, en tant que spectateur.ice. Dans quel état d'esprit vous accédez à l'œuvre ? Est-ce que vous avez lu une critique ? Un texte explicatif ? Est-ce que vous avez posé des questions à un·e médiateur·ice ? etc.. Tout cela est participatif, interactif, relationnel, quel que soit le travail de l'artiste que vous avez en face de vous. La relation à l'œuvre est sociale car elle est liée à d'autres êtres humains. Cette relation est en dehors du sujet, du médium, de la constitution technique de l'œuvre. Elle intervient dès l'imaginaire conceptuel de l'art.
Dans mon travail, j'ai politisé ces questions, pour tenter de mettre en exergue tout ce qui constitue ce qu'on appelle art. Aujourd'hui, je cherche plutôt des stratagèmes pour substituer mon travail à la question de l'exposition. Je ne crois pas un instant en l'effectivité politique de l'art - l'art n'a jamais changé le monde et ne le changera jamais. La communication si, mais ce n'est pas mon métier. Je cherche plutôt du côté d'autres formes de monstration pour tester le potentiel de mes nouvelles pièces : la performance, l'édition, le design, … Mais je fantasme un peu l'idée qu'on me donne un white-cube en me disant : fais ce que tu veux. Parce que même si, rationnellement, on se dit qu'on ne changera pas le monde, pourquoi ne pas essayer ?
IMPLEMENT - Noémi Lancelot
OCTOBER 2022
Do you consider your artistic practice as real work?
To give you an answer, I first have to define what my artistic practice and work really are. I already think that the question about the practice and that of the work are separated in my process. For me, the practice is a daily kind of research, which is not forcly linked to a so-called studio practice, but rather a practice of encounter. Encounters with pieces of art, exhibitions, texts, experiences in the art world - which were essentially educational in the context of my studies - and human encounters.
I would like to insist on the so-called professional encounters, referring to my status as an artworker. All my experiences working in art are part of my practice. I’ve worked in cultural mediation in different structures and as an assistant for several artists. All these encounters can be defined as my practice, leading to the work.
L’histoire de la crème glacée (performance alimentaire), vidéo en boucle, 1'52'', 2022 (vimeo) ©Noémi Lancelot
The subject of work is quite tricky in art domain. Unfortunately, to define what is to be an artist through the prism of job or profession never satisfied me. When you do a job, you know what you are looking for. Masons makes walls. The causality principle is easy to understand. For the artist, this is a more complex question: does the profession of artist (if there is one) tend only towards the production of works? I cannot answer yes to this question, because there are many historical examples that proves it doesn’t. Nevertheless, artists status and art workers are so precarious that it is necessary to define the profession of artist, to claim it as a profession, so the social situation of artist-authors and art workers could be improved. From a legal point of view, artistic practice must be considered as work, whereas semantically it is not.
Time is an important part of my process. It can take up to a few years between the making or removal of an object and its transformation into an artwork. During this time, the object is in latency, and even if there is no concrete action at the moment, the bulk of the work occurs. Contrary to the image we have of artistic work as an object, what I would call work is this period of time.
This particular need of time seems to create a kind of distance between the object (the work) and the person who realizes it (the artist, in this case you). Following the causality your introduced, it’s like the mason dissociated himself from the wall he built, from the very idea of a wall as an objective. As if each brick had as much importance than the final wall. Is your practice a way for you to get somewhere? What remains of the process in your work? In other words, what is your brick?
To dissociate myself from the artwork is certainly what I’m trying to do as an artist, like if I’m seeking for autonomy through my pieces but never reach it! Thinking that artworks could be autonomous is a fantasy, especially in the modern art history. All the art world, from artists to critics, ever wanted artworks to be autonomous objects. It never worked, simply because it means the artwork would be readable by anyone, at any time in history, in any context - ridiculous. This position is a legacy from Kantian universality, to which is added Deleuzian thesis about discipline and resistance. Today, that is the predominant view of what a good work of art is, it have shaped our cultural attitudes, and I’m working with those attitudes. The process is always somewhere, I never hide it. What I’m trying to show is an object that would be self-sufficient, what doesn’t mean artworks always result of a process, or witness that process.
Moreover, those objects are never really finished, never really successful - it’s also this time suspended between two moments, that of research and that of the work, that interests me. This moment when autonomy happens but is not.
Artworks, passing from one state to another, could be autonomous precisely at the moment when it is shown, like an incarnation of that temporality you describe as your practice. I mean, when you speak about the removal of an object and its transformation into an artwork, it’s like the object could both becoming an artwork through your work and be dispossessed once exhibition has passed. How do you experience this event as a person, and how do you think your artworks does?
I think that this question of exposure is the point of my research. I produce very varied objects, without any medium, no particular subject… Except that of the exhibition. Because this context is the only one where autonomy of objects can be tested. Even if the idea of exhibition stays something very hard for me, as a spectator, I enjoy it so much. It’s my number one cultural consumption, like going watch a movie for a cinema fan, or reading a book for a literary person. First, I like the social and political space of the exhibition, to gather with strangers in a place that is dedicated to that. It always seems to be an event for each other, nobody really sees the same thing at the same time, and it changes according to the place. Personally, exhibitions about contemporary abstract paintings are my favorite, clearly because of the spatial dimension those kind of paintings gives to the place - beyond their medium. Even if the objects I’m making on my own are completely different, the set-up of those paintings I like is quite similar to what I’m trying to do. I try to suggest a route that is not authoritarian, where objects can communicate between them, while keeping autonomy. To offer deaf-mute stories, in a way. Roughly, I believe that my work also contains comic sense… that what is most important is: it don’t have to be fun while it’s not boring. It could explain why some of my pieces are so disappointing. Like I’m able to work on everyone’s disappointment. I don’t know what status give to the exhibition. In the end, I did quite a bit and I never considered it as an end in itself. Even if it’s obviously an important moment both for the objects and for my practice, I don’t consider the exhibition as an absolute.
Sans titre (infiltration), vidéo en boucle, 1'52'', 2022 (vimeo) ©Noémi Lancelot
Several things seem to make the exhibition a complex and contradictory medium. Its eventful nature, its relationship to entertainment, and those comic values you integrate, make appear a situation where artworks - as objects shown during the time of exhibition - meet their existential condition. There is an ambivalence that persists, like if objects both have a solitary existence and a social character. Add to this, there is this non-authoritative visit path you want to create. Can we really exhibit without imposing anything?
I worked as a mediator in various art places for several years, directly experiencing my relationship to objects, exhibition, political questions around it, what accelerated my economic understanding of artistic practice and the art world. Precariousness of art workers, and the professional gymnastics imposed by these professions, shocked me. I saw the arrival of volunteer job, called civic services in France, I even did one before government stopped help structures financially to hire staff.
If my works are deceptive, I think it’s also because of this precarity, because of the art world economic reality, from my point of view anyway. To be more pragmatic, mediation has influenced my relationship to writing, discourse, showing of my work. It doesn’t come out from nowhere if I make a movie like En finir avec l'art (Ending Art), consisting almost exclusively in seeing me talking alone or with various people, about other artworks and artists. Finally, it’s quite the same thing with my objects. I have always tried to remove them from mediation, with their deceptive specificities, but also with adding layers to their reading. It provokes the experience of the object, whether or not you know how to read it, how to reconstruct the thought process and find the references. Each viewer sees, read and understand the object differently. That’s something I try to question, but that is fundamentally present in any artworks. So, it’s a fairly tautological work about existential condition of art objects. There is a parallel with architecture, in its social sense. I mean, where the architect must consider the social characteristics of his construction - the place and the uses - I think I have a social relationship to the exhibition. However, I’m not utopian, I don’t think there is any goal in art, but I try to work on it through an horizontal relationship to the viewer, what often happens into kind of boorish proposals - because I think that it is really what art could be, a boorish thing. Then, exhibit without imposing seems impossible to me. Because, refuse to exhibit is to impose something, like for example this text by Julien Crépieux, Open letter to the art world (lundi.am, 2019). The question that is underlying here is a social one: what, why, and for whom are we exhibiting? Intellectual and political compromises are inevitable. I am convinced that my generation has to redesign institutional systems of contemporary art, both private and public. That’s a real challenge. Institutions, as their history shows us, are sexist, racist and oppressive - what can we do with that? What modes of organization, what modes of governance should we imagine for these institutions?
Distance yourself from the exhibition system can be related to boycotting. It reminds me of civil disobedience used by non-violent movements during demonstrations. Transposed to art domains, from artists to exhibitions, this non-action could be seen as giving up, what quickly become kind of a deadlock : either you’re an artist, or you are not, either you do exhibit, or not, etc. The art world is then a binary system which is complex to fight. How can we act against without simply disappear? Go beyond the fact of exhibiting or not? Produce exclusively to supply independent structures? Promote artist-run-spaces? Stop producing?
The comparison with civil disobedience is possible. I am also thinking of strike movements. I don’t think I believe in this binary vision of artist and art world you have. One can very well be an artist without exhibiting, without producing, without entering into this archetypal image of the artist. To me, be an artist is more a posture, which translates into actions, whether material or not, exhibited or not. This posture reflects a political, ethical and aesthetic positioning.
I don’t think not acting in favor of necessarily gets you out of the system. Besides, I don’t think there is a single system; there are plenty of parallel systems, with or without links between them. In my position, there is no question of fighting the institution by disappearance. What interests me is rather these points of contact between the institutions and the leeway they offer. I must admit that the resigning artists seems to me as romantic as cowardly. Even if we know that institutional criticism is a dead end - the oppressor controls his own criticism… - it would be interesting to set up critical institutions. There are no miraculous solutions, neither for potential new institutions, nor for artists! We have to gather around this thinking, to invent new modes for governance, work, remuneration, demonstration, production and communication. At the same time more ecological, ethical, and political.
Understand exhibition through its social and systemic character gives playfulness to artworks with which it’s composed - what makes exhibition kind of a game. Moreover, when you talk about various objects, stories, the layers of readings and the codes, it feels like an invitation for people who get in front of your works to questioning themselves, or even to self-induce. In this context, what is the social relevance of artworks - interactive or participatory one? How do you plan to exhibit in the future in relation to these questions?
It feels like many artists or art workers criticized what is called interactive artwork because for them it is more about a spectacle. I think this idea still dominates the consensus around what a good work of art should be - with perhaps an exception for what we kindly put in the relational esthetic case. It’s very annoying. There is no participatory or interactive work: they all are! Each artworks induces a relationship with its viewer; whether manipulable, alterable, or fixed the piece is. How many times have we heard “we can’t see the works well during an opening”? Whether for a piece by Carl Andre or Chiaru Shiota. It is social because it works in a given context, at a given moment, with a given configuration. Of course, reality is added to this: Is the weather nice outside? Is it cloudy? Are there too much people? Someone to answer my questions? Without forgetting your state of mind as a spectator when you see artworks: Did I read a review before? Any explanation? Have I talk to a mediator? … All of these questions make art and exhibitions participative, interactive, relational. Whatever the piece you have in front of you, there is a social relationship to it because it is linked to other human beings, outside of the work’s subject, medium, technical constitution. This relationship rise from your conceptual imagination of what art really is.
In my work, I have politicized these questions to highlight all that constitutes what is called art. Today, I’m more looking for ruses to substitute my work for the question of the exhibition. I don’t believe in the political efficiency of art - it never changed the world and never will. Communication could, but that’s not my job. Instead, I’m looking for other forms of display medium to measure the potential of my new pieces: performance art, editing, design. But I kind of fantasize the idea of being given a white cube and telling me: do what you want. Because even if, rationally, we tell ourselves that we won’t change the world, why not try?
de gauche à droite (from left to right) :
Présence Panchounette, bois et tirelire, 120x20 cm, 2021
Sans titre, plexiglas, 40x20 cm, 2018
Transformation 1, quatre vidéos , sur moniteurs cathodiques, muet, durées variables, 2016-2021
The Residents, 5'30'', 2020 (vimeo)
Les Vaches, 2'17'', 2020 (vimeo)
Les Ongles, 6'43''', 2017 (vimeo)
Je m'ennuie, 17'', 2019 (vimeo)
©Noémi Lancelot
Présence Panchounette, bois et tirelire, 120x20 cm, 2021
Sans titre, plexiglas, 40x20 cm, 2018
Transformation 1, quatre vidéos , sur moniteurs cathodiques, muet, durées variables, 2016-2021
The Residents, 5'30'', 2020 (vimeo)
Les Vaches, 2'17'', 2020 (vimeo)
Les Ongles, 6'43''', 2017 (vimeo)
Je m'ennuie, 17'', 2019 (vimeo)
©Noémi Lancelot
Postfirebooks is a publishing project and an editorial design studio run by Thomas Ducrocq. Postfirebooks produces extended bookworks focusing on creative writings, polyglossia, books spatiality and its inclusive purpose.
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